Gordon Matta-Clark, Anarchitecte

A la galerie du Jeu de Paume, du 5 juin au 23 septembre 2018

 

Emblématique de son temps. L’expression vient spontanément pour parler de l’œuvre de l’architecte et artiste Gordon Matta-Clark (1943-1978), fils du peintre chilien exilé Roberto Matta et de la designer américaine Anne Clark. Avec les mots « révolution », « avant-garde », « anarchie », « déconstruction ».

Au-delà de la provocation, l’artiste interroge le rapport de l’architecture et de l’urbanisme à la modernité, avec un leitmotiv: faire œuvre d’art en mettant à nu l’architecture, en explorant son intimité.

A un moment où la jeunesse prônait la liberté individuelle et déconstruisait les structures sociales classiques héritées du passé pour en dénoncer les rigidités, GMC photographie des immeubles new-yorkais en cours de démolition, exposant l’intérieur des appartements avec leurs décorations de faïence et de papier-peint (Walls/Wallspaper, 1972), collectant ces traces de vies privées exposées à la vue de tous, comme un gant retourné. Il imprime ses images, les colorise et les offre aux visiteurs de son exposition afin qu’ils collent à leur tour ces « papiers peints » sur les murs de leurs appartements.

Plus tard, il perce des formes géométriques dans les planchers et cloisons en bois d’immeubles abandonnés du Bronx et photographie, à travers ces oblitérations spatiales, les appartements des niveaux supérieurs ou inférieurs, nous invitant à renouveler notre perception des constructions (Bronx Floors, 1972-1973). Dans cette série, il montre également les morceaux de planchers découpés, afin de mettre au jour la vérité du bâti dissimulée sous des enveloppes cosmétiques par les tenants de l’architecture moderniste.

Poursuivant son travail chirurgical, il pratique ensuite clandestinement d’immenses ouvertures dans un hangar des quais de Manhattan pour y élever, à l’intérieur, un « temple d’eau et de lumière » (A Day’s End, 1975).

Quittant les Etats-Unis pour Paris, il parcourt l’immeuble de l’Opéra Garnier, et quelques autres, des étages aux tréfonds, s’enfonçant dans les souterrains, remontant le temps, pour rechercher les fondations originelles et les relier à la Ville moderne (Sous-sols de Paris, 1977). Le fruit de ce travail prend la forme de long tirages verticaux à la manière de coupes, superposant à l’image d’un palimpseste, des images prises aux différents niveaux.

Enfin, son œuvre principale apparaît comme étant le percement – dans deux immeubles mitoyens du 17ème siècle promis à la démolition et voisins du centre Pompidou en construction – d’un immense trou en forme de cône prenant pour base l’un des murs pignon et s’élevant à travers les deux immeubles selon un angle de 32 degrés (Conical Intersect, 1975). Véritable performance, présentée comme un « son et lumière », l’œuvre fait le lien entre le futur centre Beaubourg et les vieux quartiers alentours en voie de restructuration.

On peut parfois regretter la qualité des images et des tirages exposés. GMC ne maîtrisait pas la technique photographique. D’autant qu’il emploie de la pellicule couleur, à l’époque moins bien définie et stable que les images noir et blanc telles que celles de Harry Gruyaert et Marc Petitjean sur le projet Conical Intersect.

L’impression d’inachevé qui se dégage de ces travaux tient-elle à cela, à la spontanéité de leur réalisation ou à la jeunesse de leur auteur, disparu à 35 ans sans avoir pu exprimer tout le potentiel de son expression ?

Libre et perpétuellement en recherche, GMC ne trouvait-il pas son accomplissement dans la volonté, un peu iconoclaste, de défricher en permanence le champ des possibles d’une scène artistique en constante ébullition ?

On songe à un Christo qui aurait disparu avant d’avoir obtenu cette notoriété qui lui permit d’envisager des œuvres à la dimension de son art.

Mais c’est le sens du défi personnel, celui qui porte à réaliser l’impossible, qui semble bien être in fine à la source de sa création. « La seule justification c’est : I was able to get away with it. (…) le réaliser en dépit de tout ce qui est contraire (…), un travail dans une condition de résistant, autant matérielle que… socio-économique ». Il faut le voir rire en prononçant ses mots, suggérés par son intervieweuse dans le film que lui a consacré Marc Petitjean à l’occasion du projet Conical Intersect, pour se persuader qu’il trouvait sa jubilation autant, sinon plus, dans la flamboyance du geste, au sens architectural du terme, que dans sa justification théorique.

lien vers le film de Marc Petitjean: http://www.marcpetitjean.fr/films/intersection-conique/

Au final, la production inégale de Matta-Clark – ses séries Untitled (Anarchitecture) et Graffiti par exemple – et la qualité moyenne de certaines photographies de ses œuvres sont peu de choses. On sort de cette exposition en ayant à l’esprit l’audace singulière et la vitalité créative de cet artiste pionnier, qui valent à elles seules largement le détour.

http://www.jeudepaume.org/?page=article&idArt=3000