Jürgen Nefzger, Exposition « Residencial » à la galerie Françoise Paviot

Depuis une vingtaine d’années, Jürgen Nefzger mène des projets exploitant la dimension documentaire du médium photographique pour mettre en images, entre distance factuelle et attitude ironique et critique, les territoires transformés par l’homme et les paysages qui en résultent.

Il représente ainsi les moyens développés par nos sociétés pour s’approprier, aménager, habiter, détériorer les espaces : son regard s’est notamment porté sur les lotissements aux abords de Disneyland Paris avec « Les portes du Royaume » au début des années 1990, sur les centrales nucléaires européennes avec « Fluffy Clouds » (2010), etc. Tantôt ces problématiques spatiales et donc sociales, politiques, économiques, écologiques, sont les voies par lesquelles il nous fait visiter plusieurs lieux, tantôt un seul lieu devient sujet : dans les deux cas, c’est la série photographique « déroulée », qui créé une image d’ensemble.

Depuis le 24 janvier et jusqu’au 14 mars, la Galerie Françoise Paviot  (Paris) présente Residencial, une exposition mettant en dialogue les derniers travaux du photographe avec sa première série réalisée en France, « Les portes du Royaume ».

Le livret publié à cette occasion donne le ton : « En 2008, l’effondrement du prêt bancaire en Espagne entraîne l’éclatement de la bulle immobilière. Dans les environs des grandes villes, des centaines de milliers d’appartements invendus et de terrains à bâtir forment aujourd’hui des nouvelles zones périurbaines en friche. Villaflores fait partie de ces innombrables terrains viabilisés puis laissés à l’abandon, où la vie reprend sous forme d’une revégétalisation sauvage par des espèces pionnières. Réalisées à la chambre 20×25 en juillet 2014, à la suite d’une première série sur les ruines en 2013, ces images se concentrent sur le repeuplement de ces paysages. »

« Villaflores » est le nom d’un de ces terrains viabilisés (est-ce à dire neutralisés?) puis abandonnés, sur lequel Jürgen Nefzger s’est rendu à l’été 2014. Pour recomposer son paysage, comme pour lui redonner une identité et une profondeur, il a photographié son repeuplement par les espèces végétales, opérant par prélèvement descriptif. On l’imagine adoptant une posture de visiteur attentif (attitude opposée donc, aux précédents visiteurs, occupés à bousculer cet espace), repérant, observant et étudiant, pour ensuite extraire, comme le ferait un botaniste, les images et structures des herbes folles, chardons, fleurs, puis lampadaires, morceaux de tuyaux et autres débris de chantier.

Le dispositif de monstration linéaire des images reflète-t-il le déroulement du travail du photographe et donc sa forme de pensée? Quoi qu’il en soit, il recréé bien le déroulement d’une visite à Villaflores et suggère un propos par le montage d’images : l’accroissement progressif de la distance de prise de vue et de l’échelle des objets représentés, du chardon à la « maison témoin » abandonnée, reconstitue l’espace autant qu’il évoque les problématiques et les enjeux que condensent ces sites abandonnés.

Jurgen Nefzger, Villaflores slide_01Jurgen Nefzger, Villaflores slide_02[Villaflores, Espagne, 2014]

La façon dont nous traitons la surface de la terre n’est-elle pas aussi la façon dont nous nous traitons nous-mêmes? Que nous disent alors les photos de Villa Flores de notre humanité, de nos sociétés, de nos politiques d’aménagements spatiaux devenues des spéculations sur des espaces financiarisés?

Heureusement, les objets photographiques fabriqués par Jürgen Nefzger, car ils sont le fruit d’une empathie pour les lieux et d’une esthétique raffinée, ont aussi quelque chose de réconfortant. Les tirages contacts petits formats dans un noir et blanc particulièrement contrasté (réalisés par le photographe lui-même, précision importante) qui n’est pas sans rappeler le travail de Lewis Baltz (1945-2014) et la précision des détails donnant aux plantes un caractère précieux, en font « remonter » la beauté et déclenchent chez l’observateur un étonnement pour ces objets et agencements ordinaires, banals, ternes a priori.

Et paradoxalement, les formats réduits des images, car ils se succèdent, permettent une immersion dans les images et la représentation globale ainsi reconstituée de « Villaflores ».  A cette « collecte d’images » répondent des tirages de Résidencial : en grand format et en couleurs, de manière frontale, ils montrent des immeubles invendus de villes nouvelles espagnoles (et leurs infrastructures diverses) photographiés sous une douce et chaude lumière hivernale. Cette série résulte certes d’une autre approche photographique formellement bien différente,  mais est portée par la même attitude empathique pour ces espaces inconsidérés, « disparus » du spectre de nos attentions.

Spain slide_11 [Seseña, Espagne, 2012]

Le photographe dit de ces lieux : « j’ai beaucoup de sympathie pour ces paysages modelés par le système économique – surtout quand l’échec vient de s’y faire une belle place. Que seraient devenus ces terrains une fois construits et livrés ? Des non lieux habitables et échangeables comme en regorgent nos pays. Alors que là on arrive à quelque chose d’extraordinaire : un poème moderne que personne n’a voulu écrire! ». Il se fait donc porte-parole des « paysages outsiders » et offre une visibilité aux espaces invisibles.

Jurgen Nefzger Aux portes du royaume slide_09 [Aux portes du Royaume, 1997-2000]

Justement, est-ce un de ces « non lieux habitables et échangeables » que Jürgen Nefzger a documenté avec « Les portes du Royaume », dont un dytique est présenté dans l’exposition, et qui répondant aux tirages précédents, faisant comme un avant/après la crise économique ? Personnellement, je ne crois pas…mais à l’observateur de se faire son idée, en attendant peut-être un prochain billet, et surtout une exposition/publication de ce travail :

http://www.juergennefzger.com/index.html

http://www.paviotfoto.com/

 

Informations pratiques de l’exposition :

Galerie Françoise Paviot, 57 rue Sainte-Anne, 75002 Paris

Durée de l’expo : du Samedi 24.01.2015 au Samedi 14.03.2015

La galerie est ouverte au public du jeudi au samedi de 14h30 à 19h00 et du lundi au mercredi sur rendez-vous.