Montreuil-sous-Bois, chronique(s) /1

« L’espace de notre vie n’est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte, où il se rassemble ? On sent confusément des fissures, des hiatus, des points de friction, on a parfois la vague impression que ça se coince quelque part, ou que ça éclate, ou que ça se cogne. Nous cherchons rarement à en savoir d’avantage et le plus souvent nous passons d’un endroit à l’autre, d’un espace à l’autre sans songer à mesurer, à prendre en charge, à prendre en compte ce laps d’espace. Le problème n’est pas d’inventer l’espace, encore moins de le ré-inventer (trop de gens bien intentionnés sont là aujourd’hui pour penser notre environnement…) mais de l’interroger, ou plus simplement encore, de le lire ; car ce que nous appelons quotidienneté n’est pas évidence, mais opacité : une forme de cécité, une manière d’anesthésie. C’est à partir de ces constatations que s’est développé ce livre, journal d’un usager de l’espace. » Georges Perec, incipit d’Espèces d’Espaces, 1974. [C’est l’auteur du billet qui souligne en italique].

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PRÉAMBULE

Le journal qui débute vise à proposer un aperçu, comme « un snapshot », des réflexions en cours dans le cadre de mon travail de doctorat en architecture. Mais il est surtout destiné à proposer au regard, au débat, à la critique, les exercices photographiques menés à Montreuil-sous-Bois depuis quelques mois.

Il s’agit donc de montrer une double recherche dont un versant s’adosse sur l’autre, nourrit l’autre, éclaire l’autre, et d’imaginer une prospection réflexive : faire de l’expérience empirique et photographique un moyen autant qu’un outil de recherche, avec la ville de Montreuil comme terrain. Se pose d’emblée la question de la position de l’apprentie chercheure produisant elle-même son matériau d’étude, et mettant alors en question la validité même de sa méthode de recherche, mais ceci est un autre débat que je vous épargnerai pour l’instant.

Et car il importe, toujours, de contextualiser et d’expliciter la pensée (ses raisons, ses formes, sa diffusion…), qu’elle soit textuelle ou iconographique, les premiers billets de ce journal expliqueront les circonstances, motivations, questions qui ont généré cette chronique montreuilloise. Ensuite, espérons que le texte acceptera de laisser l’image mener la danse.

 

INTRODUCTION

Montreuil, nouvelle ville  

Eté 2014, j’arrive  à Montreuil-sous-Bois, ville que je connais peu, si ce n’est photographiquement, notamment par l’itinéraire n°9 de l’OPNP, d’Anne Favret & Patrick Manez (et sous « l’aura » duquel il apparaîtra plus tard que je vais découvrir et photographier la ville, « reconnaissant » au détour d’une rue telle ou telle image).

https://terra.developpement-durable.gouv.fr/observatoire-photo-paysage/home/

Cette expérience du « changement de scène » est l’occasion de réfléchir à des questions simples : Comment, nous qui projetons et puisons fondamentalement notre identité dans l’espace qui nous environne, nous adaptons-nous à des espaces nouveaux, faisons-nous d’une ville notre ville? Comment opérons-nous pour y circonscrire des espaces du quotidien, y prendre nos habitudes ?

Elle permet surtout de poser des questions plus spécifiquement liées à l’espace et l’architecture et leurs représentations questionnant les évidences, comme nous invite à le faire Georges Perec dans Espèces d’Espaces (1974), mais aussi l’Infra-ordinaire (1989) et d’autres textes : comment lire l’espace, interroger l’évidence que nous nommons « quotidien », « ordinaire », le « banal » de la ville  ? Comment, en somme, remarquer le non-remarquable ?

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Rencontres photographiques

Durant cette première année de doctorat, je rencontre des photographes. Nous échangeons sur leurs approches de la commande publique de photographie et leurs manières de construire un projet photographique. Je les questionne sur leurs rapports aux cahiers des charges, leurs relations aux commanditaires ; sur les facteurs économiques, politiques, pratiques, etc.  « Jusqu’ici tout va bien ». Le projet architectural et le projet photographique sont liés aux contraintes de la commande de manière similaire, et surtout, sont l’un et l’autre des projets d’espaces et des projets d’images.

 

CONTEXTE ET ÉLÉMENTS « DÉCLENCHEURS »

Photographier pour voir autrement, voir mieux ?

Nous abordons également des questions plus proprement photographiques : pourquoi faire appel à un photographe pour documenter des lieux et des paysages  dans le cadre d’un projet de gestion ou d’aménagement d’un territoire ? Que peut-il et que voit-il que les acteurs de l’aménagement ne verraient pas ? Dans quelle mesure le photographe peut-il (ou non) être qualifié d’expert du visuel, et peut-être également d’expert des espaces habités et des paysages?  Que révèle la médiation photographique qui ne serait pas ou peu visible par une appréhension in situ et d’autres outils, plus conventionnels, de représentation du territoire, etc. ?

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Expérimenter le réel par la photographie – L’image, réalité construite

Nous parlons aussi de l’expérience du réel que constitue le projet photographique et des attitudes des uns et des autres sur les lieux à photographier : comment arpenter et regarder pour voir, comprendre et proposer des représentations d’un territoire? Et d’ailleurs, s’agit-il de proposer des images d’un territoire ou des représentations paysagères, et quelles distinctions faire entre ces deux réalités?

Je me demande et leur demande : comment se positionner dans le réel, quelle attitude adopter, comment choisir tel ou tel point de vue ? Quelle distance prendre vis-à-vis des objets, mais aussi des problématiques à l’œuvre sur les territoires (extension du bâti sur un site dit « naturel », reforestation intensive, etc.) ?

Enfin, quelle image prélever ou construire dans cette infinité de possibles, comment articuler « l’image » et « l’information », la volonté de produire une photographie « équilibrée » visuellement et esthétiquement et un document fournissant des données sur le réel représenté? Comment arbitrer, donc, des ambitions photographiques et des nécessités documentaires?

On l’aura compris, l’objectif n’est pas tant de trouver des réponses que de poser des questions…Et je saisis donc l’occasion de cette heureuse concordance entre l’arrivée dans une ville qui m’attire, surtout car elle me semble si étrangère à moi et que je vais devoir faire mienne, et les questions posées par la recherche sur le projet photographique.

Ainsi commence ma découverte de Montreuil-sous-Bois et ce carnet de recherche visuelle. En attendant le prochain billet, qui sera consacré à l' »attitude visiteuse » comme méthode photographique et évoquera peut-être aussi les enjeux de la mise en forme des images, ici sont quelques unes des premières photographies produites…

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